C’est donc de cette façon que je suis mort. A tout prendre, j’aurais préféré en finir de manière plus digne, dans mon lit, entouré des miens – mais on ne choisit pas cela, pas plus que le reste. Et puis, le Seigneur semble avoir décidé que j’étais quand même digne d’aller au Ciel. C’est le principal.
Lundi 7 décembre 1998, 10h15, dans la cour le l’Institut Médico-Légal de Paris. Il fait froid et gris et le métro aérien qui traverse la Seine ne cesse de passer au dessus de nos têtes dans un cliquètement métallique obsédant. Je retrouve Claire Inette, puis Isabelle la Louve. Les voitures des Pompes Funèbres défilent, les couronnes de fleurs s’amoncellent et les familles éplorées se rassemblent par petits groupes………
Une semaine déjà. Monsieur Guy, lisez Guy Bidel, s’est éteint le dimanche 29 novembre, foudroyé par une attaque sur un quai du métro parisien.
Je suis né en 1960, au fin fond de la Normandie. Quatrième d’une famille de sept enfants. Milieu modeste mais enfance à la campagne : ça compense. J’ai fait des études plus que dissipées, pour cause d’allergie totale au système scolaire et à toute notion de discipline (ça n’a guère changé depuis), sans compter que j’étais irrémédiablement nul en maths.
Je suis rentré en contact avec Guy en 1993, comme bien souvent dans le fandom ; une lettre anodine pour me commander un numéro de D&M. Mais l’anodin n’était qu’apparence et la commande un prétexte pour ensuite m’inonder d’illustrations toutes plus délicieuses les unes que les autres. Car Guy était un inondeur, un semeur, généreux et désintéressé. Il est difficile d’établir une liste exhaustive des fanzines qu’il a ainsi abreuvé de son talent, mais citons quand même CHIMERES, SOLSTARE LA REVUE DE L’IMAGINAIRE ou MICRONOS. Le mystère de Guy, c’est certainement de n’avoir jamais su ou pu mettre son grand talent au service de productions professionnelles. Certes, il a fait quelques brèves apparitions chez Encrage (il a notamment signé la couverture du Cimetière des Eléphants de Francis Lacassin) ou dans certaines éditions dumaysiennes ; mais, peut-être par choix inconscient, il a toujours préféré cultiver une marginalité dilettante, allergique qu’il était aux contraintes de toutes sortes. Guy était un Artiste, au sens premier du terme, vivant au jour le jour chez les uns et chez les autres, travaillant au gré de sa fantaisie sans jamais chercher à faire carrière.
Les soirées de l’ODS ont été longtemps marquées par sa présence. Une présence amicale et cultivée lorsqu’il avait le moral, une présence bruyante et parfois encombrante lorsqu’il sombrait dans la déprime la plus noire. Mais je retiendrai surtout de ses contributions une curiosité sans limite pour tout ce qui touchait à l’Imaginaire. Guy était un intoxiqué de SF, et ce n’est pas un euphémisme, mais ne dédaignait pas aller se promener sans à priori sur les Terres du Fantastique.
Il affichait un rationalisme pur et dur et n’hésitait pas à croiser le fer, parfois violemment, lorsqu’il sentait comme une effluve de para-sciences…. Ses polémiques dans nos colonnes sont devenues légendaires ; en ont été les victimes bien involontaires Patrick Ferté, suspecté sans raison d’ailleurs de faire l’apologie d’Alexis Carrel l’eugéniste, ou le brave Richard Bessière, traître à la cause de la SF qu’il aurait abandonné au profit de la para-psychologie……. Mais Guy était intrinsèquement honnête et n’hésitait pas à faire machine arrière lorsqu’il se rendait compte, à la lecture des réactions de ses victimes, qu’il s’était fourvoyé sur le sentier du parti-pris.
Au fond, Guy était sans doute un débunker qui s’ignorait, du moins si l’on se réfère à cette merveilleuse définition d’Elisabeth Piotelat.
Au contraire du » rationaliste » (ou » scientiste » parfois dit » borné « ), lequel est enraciné dans ses certitudes établies tel le chêne dans le sol sacré de Brocéliande, le debunker aime à s’élancer dans le vide de la croyance pour ressentir pendant une fugitive seconde, suspendu entre ciel et terre, la vertigineuse attraction du Mystère. Mais avant d’y chuter, il se rattrape in extremis au trapèze de la rationalité et, par un vigoureux rétablissement mental, se retrouve à nouveau assis sur ses rassurantes convictions. Au moins a-t-il goûté au nectar interdit (avant de nier avec encore plus de vigueur son existence), volupté que le scientiste, moine-soldat de la raison, s’interdit même d’imaginer autrement que comme dépravation impie et abominable péché contre l’esprit..
Et la plus belle preuve de ce penchant psychanalytique est certainement cachée dans sa nouvelle déjà citée, N.D.E. Une expérience de mort rapprochée, décrite selon les canons désormais classiques du Dr Moody, et qui tout d’un coup bascule sur une histoire de SF ……. pure et dure…….
Car si Monsieur Guy était célèbre pour son talent graphique, il ne dédaignait pas pour autant la plume. Il s’est forgé au difficile exercice de la nouvelle lors de son passage à Amiens, sous la conduite éclairée de Gilles Dumay qui a dû lui faire remettre mille fois le travail sur l’établi.
Bon allez, au revoir Guy. J’aurai appris au cours de ces dernières semaines que…. les poètes meurent aussi. C’est bête, non ?
© Philippe Marlin, décembre 1998
